Un petit cortège de fidèles du diocèse de Paris, constitué de prêtres, d’humbles paroissiens et de catéchistes, d’enfants de choeur et d’anciens soldats dignes et chenus, commémorant l’assassinat de catholiques durant la Commune, a été molesté ce week-end par une foule de badauds se proclamant « antifascistes ».
Dans leur héroïque enthousiasme, et tout à leurs propres larmes de commémorants, ces enfants supposés de Louise Michel auraient cru apercevoir sous toutes ces aubes impudiques une armée de « Versaillais », le couteau entre les dents. Par conséquent, et comme tout courageux antifasciste le ferait, ils ont molesté la foule avant de la couvrir d’injures et de tessons de bouteille. Belle épizootie anticléricale, à faire pâmer la Libre pensée ! Grand moment d’héroïsme ! Admirable leçon de courage !
L’attaque était, reconnaissons-le, particulièrement lâche et le motif pour le moins délirant et domquichotesque. Elle ferait honte aux communards de la grande époque, qui, eux, au moins, avaient un peu de panache. Cependant, contrairement à leurs prédécesseurs, ces carnavalesques néo-communards ont eu la bonté de ne faire aucun mort parmi ces chrétiens - et nous les en remercions. Néanmoins, la violence était bien réelle, et la compassion pour les victimes s’impose, tandis qu’on peut s’indigner de ces épisodes d’anticléricalisme grotesques, incultes et hypocrites.
La colère des premiers de la classe
Ce n’est pas l’avis de 15 « catholiques engagés à des titres divers dans la vie de l’Église et dans la société », qui publiaient ce 2 juin une tribune dénonçant dans la commémoration du diocèse, à grands renforts d’arguments fallacieux et d’une lecture lacunaire de l’histoire, une « aberration spirituelle et politique ». Des citoyens français ont été agressés en pleine rue pendant une manifestation pacifique ? Hé bien c’est de leur faute, vous explique en substance ces grands théologiens.
Leur raisonnement est le suivant :
Il est triste que des catholiques aient été attaqués (ouin-ouin, mais pas trop quand même)
Néanmoins ils l’ont quand même un peu cherché car si le clergé a « une mauvaise image dans l’opinion » - image qui excite la hargne des antifascistes et provoque les pluies de tessons - c’est parce que depuis 150 ans ce même clergé entretiendrait « un copinage structurel avec la bourgeoisie capitaliste »
En contrepoint nous comprenons que nos 15 admirables signataires, universitaires, jésuite, journaliste, animateurs de co-working engagés, chargée de transition, habitués des Bernardins, vivent, eux, auprès des damnés de la terre pendant qu’au diocèse de Paris on se tourne sans doute les pouces en mangeant des huîtres et en rêvant de Restauration
Il est scandaleux de commémorer des victimes catholiques de la Commune en tant que catholique, parce que c’est de la « mémoire sélective » - en revanche on peut tranquillement lancer des ordures au figuré sur ses coreligionnaires, en tant que « catholique engagé », parce que c’est en réalité une correction adressée « fraternellement »
Le “diocèse de Paris” (était-il bien l’organisateur ?) aurait « pris en otage les catholiques » (ont-ils menacé de les tuer ?) tandis qu’eux ne prendraient rien d’autre en otage que la vérité en adressant ce faux-procès à 300 braves gens
L’histoire, la justice sociale, Émile Poulat, le catholicisme social, les laïcs engagés, Maritain, le sans-gluten, Gandhi, les forêts, les séraphins et Jean Moulin sont du côté des signataires de la tribune
La revanche du cléricalisme laïc
Au-delà d’une relecture unilatérale et partiale de la Commune, l’argumentaire, aussi idiot qu’imparable, repose sur un marxisme historique d’une pureté toute enfantine et qui pourrait susciter bien des réflexions. Il repose aussi sur un procès d’intention, tout aussi bête, à l’égard du clergé parisien. Autant de paradigmes qu’il faudrait longuement interroger pour arriver à une discussion satisfaisante et sans doute fertile. Mais abstenons-en nous dans un premier temps au profit d’une première question, candide, volontairement enferrée dans les imbéciles prémisses du raisonnement exposé.
Est-ce que nos 15 admirables et immaculés signataires peuvent, pour nous montrer l’exemple, pour nous édifier, pour nous libérer de nos chaînes, nous dire très précisément « d’où ils parlent » concrètement, comme on disait parait-il en 68, et nous faire une confession publique de leurs propres expérience du « copinage avec la bourgeoisie capitaliste » ?
On espère bien que leurs engagements, leurs mandats, financements, généalogies, parcours, relations amicales, visages poupons, ne cachent pas des entorses à l’intransigeante « morale » qu’ils défendent publiquement et à grands cris contre tout « copinage avec la bourgeoisie capitaliste ». Il serait en effet scandaleux que le catholicisme de gauche soit pris en otage par des crypto-bourgeois !
On voit bien que l’inversion accusatoire à laquelle nous cédons avec ironie est aussi puérile et grossière que l’accusation première. Pourtant elle est tout aussi valable (et elle appelle tout autant ses Savonarole et ses tribunes), si l’on accepte les prémisses du raisonnement des signataires.
Bonnes intentions, pureté doctrinale, bêtise idéologique
La « tribune des 15 » témoigne en effet d’un esprit idéologique qui pose une distinction entre des purs d’un côté et des impurs de l’autre (gentils catholiques engagés à gauche, catholiques compromis et corrompus à droite) et ce pharisianisme inconscient est par là même insidieusement un appel à la violence. En accusant le diocèse de Paris et d’humbles catholiques, dans une optique néo-marxiste manichéenne et puérile, d’être les alliés des dominants, elle fournit aux « antifascistes » des arguments pour les haïr davantage et les agresser à nouveaux.
Benoîtement retranchés derrière leur tribune, les signataires ne voient ni les visages, ni les cœurs des trois cent personnes qui ont été sauvagement agressées. Ils seront pourtant les premiers à dénoncer le manque de cœur du catholicisme “identitaire” ou supposé tel. Mais n’en sont-ils pas, ici, les faux-jumeaux ? Le manque de tact, de sérieux, la fausse profondeur de leur réquisitoire témoignent d’un même esprit de système. Les idéologues en viennent toujours à accuser des gens ordinaires de maux graves et imaginaires. Et c’est précisément à cela qu’on reconnaît l’absurdité de leurs prémisses. C’est ce qu’on fait les agresseurs du cortège et ce que répètent bêtement les signataires.
Le courage et la raison auraient plutôt exigé de réfuter les arguments fallacieux des assaillants, de tourner en dérision leur mascarade, et de consoler les victimes, avant toute chose. Mais l’illusoire pureté doctrinale des signataires, leur manque de nuance historique, les ont poussé au contraire à attaquer les victimes en leur faisant un faux-procès mémoriel aussi injuste que disproportionné.
Les catholiques engagés de tous bords sont hélas habitués à ces querelles de chapelles, vaines et faussement intellectuelles. La médiocrité de ces faux “débats” est d’abord le fait d’un rétrécissement sociologique du catholicisme (et d’une acculturation tragiquement proportionnelle) qui fait intervenir, invariablement, les mêmes voix dans un petit milieu de quelques centaines de jeunes « activistes » engagés selon des clivages caricaturaux et des lignes de fractures pas toujours édifiantes, que gonflent la presse et les réseaux sociaux.
Les conflits sont naturels et féconds lorsqu’ils sont avisés et aucune Église n’est sociologiquement unanime. Mais le moins qu’on puisse dire c’est que l’Église de France a connu des controverses plus glorieuses…
ADDENDUM
Un confrère journaliste a la bonté de transmettre, à la disposition du lecteur, quelques précisions historiques qu’il n’est pas inutile de rappeler :
1) "Les otages de la Commune ont été assassinés non pas en raison de leur foi chrétienne, mais en raison de leur affiliation supposée aux ennemis de la Commune."
Cette assertion est totalement fausse concernant les martyrs de la rue Haxo : ces dix religieux ont été détenus non pas pour fait de collaboration avec le gouvernement de Versailles, mais par haine anti-chrétienne : en témoignent, par exemple, les perquisitions chez eux, n'ont rien donné. On n’appréciera que davantage le sens de la justice des signataires qui estiment que "cela ne légitime évidemment pas leur assassinat 𝐦𝐚𝐢𝐬 le remet en perspective"...
2) "Le copinage structurel de ce même clergé avec la bourgeoisie capitaliste."
Si les signataires de la tribune avaient pris la peine de se renseigner, ils auraient appris que les 2 “poids-lourds des martyrs” étaient le P. Olivaint s.j. et le P. Planchat, deux prêtres de particulièrement engagés en faveur des classes populaires et de la cause... ouvrière.
3) "La plupart des victimes de la Commune sont pourtant mortes au nom de la justice, non pas au nom d’une quelconque haine de la religion".
Les signataires de la tribune ne semblent pas au courant, non plus, de la façon dont ont été tués les 50 otages, et notamment les religieux. Si certains ont eu la "chance" d'être exécutés par balle, les autres ont été massacrés. Le P. Planchat (qui a tout au long du cortège demandé à ses compagnons de prier pour leurs bourreaux et qui a, avant sa mort, demandé à échanger sa vie contre les gendarmes qui étaient pères de famille !) s'est fait briser les os à coups de baïonnette, s'est pris des coups de sabre, 8 balles de fusil pour "enfin" être achevé d'une balle dans la tête, alors qu'il tentait de se mettre à genoux pour prier. Avant de voir son corps, comme les autres, jetés dans une fosse…